C’est un samedi après-midi de novembre ensoleillé sur la place des Abbesses, dans le 18è arrondissement : tout près du manège, un petit groupe se forme autour de Veronica Antonelli, chanteuse lyrique venue du sud mais amoureuse de Paris qui se plaît à faire découvrir le patrimoine culturel et l’environnement urbain…par le biais du chant. Du martyrium (bien caché) de la rue Yvonne le Tac à l’église Saint-Jean, des escaliers de la rue du Mont-Cenis à la place Marcel Aymé, Veronica enchaîne les airs religieux et les airs d’opéra avec générosité, pour une approche de la ville sensorielle, sensuelle même.
A chaque étape, le pouvoir de la voix et la magie de la musique opèrent : les curieux s’arrêtent, charmés par la magie du moment. Devant le mur des « Je t’aime », un couple assis sur un banc public se laisse surprendre par l’interprétation magistrale de l’air de Carmen « L’amour est un oiseau rebelle ». Mi fée bleue, mi Loïe Fuller, la diva qui n’a besoin que de sa voix et qui a le sens de la mise en scène fait découvrir les trésors de Montmartre de la façon la plus insolite et la plus émouvante qui soit. Elle est d’ailleurs ambassadrice de la république de Montmartre, qu’elle aime pour son esprit village, solidaire, festif et franc-tireur.
Nous l’avons interviewée pour comprendre d’où lui est venue cette belle idée et connaître son parcours et découvrir que l’oiseau rebelle…c’est elle !
Comment êtes-vous devenue chanteuse lyrique, Veronica ?
Je viens d’une famille de musiciens. J’ai fait le Conservatoire de Toulouse, puis j’ai étudié au conservatoire Maria Callas d’Athènes. J’étais vraiment destinée à la musique classique et au chant lyrique
Comment avez-vous découvert votre voie et votre voix « a capella », c’est à dire sans accompagnement ?
A 22 ans, j’ai été invitée chez Claude Nougaro qui m’a demandé de chanter a capella, il me disait que j’avais besoin que de ma voix. C’est vraiment grâce à lui que je me suis libérée du côté conventionnel du chant lyrique. En principe, le chanteur est toujours accompagné d’un piano, pour éviter de chanter faux ! Tous les chanteurs n’ont pas l’oreille absolue.
Claude Nougaro vous a donc aidée à découvrir le potentiel de votre voix « nue »
Sur le moment je me suis dit, c’est Claude, il est dans son monde…Lui ne me voyait pas dans le chant lyrique traditionnel et la suite de l’histoire lui a donné raison. Mais sur le coup, j’ai continué ma carrière dans le lyrique en tant qu’artiste de chœur et soliste dans des opéras. Puis, en 2005 j’ai eu une nouvelle révélation dans le Duomo de Syracuse (la cathédrale) un monument qui a connu toutes les guerres. J’ai spontanément commencé à chanter a capella et j’ai découvert que le lieu embellissait ma voix. Soudain elle résonnait avec des pierres vieilles de 2500 ans ! En fermant les yeux, j’avais l’impression de vivre l’histoire des lieux.
C’est quasiment une expérience mystique que vous décrivez là !
Le déclencheur a été spirituel (le Duomo), mais pour moi c’est surtout une façon de m’appuyer sur le lieu et l’histoire
Plutôt que sur le piano ?
Oui. J’entre en résonance avec l’environnement, je dialogue avec le monument, je lui demande de me révéler ses secrets…et je me renseigne aussi, bien sûr ! Peu de temps après, j’ai rencontré DJ On Mars aux USA, et j’ai eu envie de « tester les canyons ». Ce fut une expérience étonnante car ma voix, à la rencontre de la terre et de la roche, revenait avec une couleur différente, alors que l'"émetteur" restait le même!
Quel est le phénomène acoustique dont vous jouez ?
En réalité la voix entre en résonance avec ce qui l’entoure. On ne peut pas chanter dans le vide : la voix est comme une vague, elle a besoin d’un contenant Elle revient projetée par ce qu’elle a touché, remplie de vibrations. A un moment donné, je e suis demandée – par jeu, par curiosité - est ce que je peux reconnaître un monument à son acoustique ?
C’est ainsi que vous avez créé « Monuments enchantés » !
Oui au bout de 5 ans, car je devais encore honorer des contrats à l’opéra. Je l’ai fait avec l’aide de Mady Mesplé, la grande diva, qui m’a aidée bénévolement. Je le souligne car c’est très rare dans ce milieu. Je m’ennuyais sur scène, je me sentais comme une poupée, dépossédée de toute liberté. Le coup d’envoi a été donné avec l’enregistrement en 2010 de « The Godess Touch » dans une chapelle, a capella. Mady trouvait le projet fou, mais quand elle est venue à la première, elle a adoré. Grâce à ce projet, j’ai remporté le Grand prix musiques.
Quelle est votre expérience la plus « folle » ?
Sans doute de chanter dans une montgolfière, dans le sud. Je chante pendant les 2minutes 30 de la descente, brûleurs éteints. Le ballon renvoie la voix jusqu’au sol, grâce à la toile qui sert de caisse de résonance. J’ai aussi un souvenir surprenant avec des raies manta, en Polynésie, qui sont venues se coller contre moi tandis que je chantais, le corps plongé dans l’eau. D’après les spécialistes, c’est difficile à expliquer, car les raies manta ne sont pas connues pour leur aptitude à communiquer.
Vos visites enchantées sont-elles accessibles à tous ?
Oui, d’autant que je suis très sensible à ce que m’ont expliqué des personnes en situation de handicap. Les personnes sourdes et malentendantes me disent ressentir ma voix dans leur corps, dans leur cage thoracique. Et les personnes souffrant de déficience visuelle imaginent les lieux grâce à ma voix et à la façon dont elle résonne. C’est ainsi que j’ai eu l’idée des visites « Explorer l’invisible » qui m’a valu 3 prix dont celui de la fondation de France
Quel en est le principe ?
Dans ces visites, tous les publics sont plongés dans le noir, afin de comprendre que le handicap s’accompagne de « compensations » sensorielles. En vivant une expérience du patrimoine avec d’autres sens que la vue, on devient plus curieux, on garde plus de souvenirs. Notre société base tout sur l’apparence : il me plaît de retourner à des choses plus instinctives, qui ont une autre valeur.
Le mot de la fin ? Si les gens chantaient davantage, ils seraient plus heureux ! C’est mon côté idéaliste.
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